Article paru dans la Revue des Deux mondes, décembre 2024
L’élan patriotique que nous avons ressenti lors des Jeux Olympiques de Paris n’est pas lié qu’à notre engouement pour les performances de nos athlètes. Il exprime aussi la joie d’une nouvelle plongée dans notre culture. La beauté de notre héritage, l’image des foules en liesse d’un Paris libéré et la créativité de nos industries culturelles ont ravivé la fierté d’un peuple paralysé depuis longtemps dans une crise d’amour-propre. L’été 2024 nous a rappelé avec force que les Français ont besoin de quelque chose en commun à aimer. Les « différences » ou la « diversité » ne font pas une nation. Seules les émotions collectives qu’apporte l’amour d’une culture en partage peuvent susciter un tel sentiment d’appartenance.
L’unité nationale par la culture est un dessein qui a été formé par les Rois et poursuivi par la République au service de l’unité de l’Etat. Le mythe du self-made man définit un Américain comme un immigré qui a réussi dans le Nouveau Monde. Dans une nation comme la France, millénaire et jacobine, c’est l’assimilation et l’amour de la culture issue de notre Ancien Monde qui fait de nous des Français. Un immigré qui assimile et aime la culture française peut devenir un Français comme les autres.
Avant d’être une obligation faite aux immigrés, l’assimilation de la culture nationale a été une obligation faite aux Français. La création de l’Académie française en 1635 traduisait la volonté de renforcer l’unité de l’Etat, par la langue française, sous l’autorité du Roi. Notre langue fut enseignée à l’ensemble du pays par l’école républicaine. Elle est devenue ensuite un des moyens d’intégrer les immigrés à la nation. L’assimilation a été appliquée aux Bretons, aux Alsaciens et aux Basques avant d’être appliquée aux immigrés. De l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 jusqu’aux lois sur l’instruction publique de 1882, il y a une continuité. Cette politique a revêtu les habits de la République en 1789, au point de faire de l’assimilation l’un des grands principes d’organisation de notre démocratie.
La République est un projet culturel.
En effet, l’assimilation matérialise l’universalisme et la recherche de la paix civile. C’est par la culture que nous dépassons les crispations identitaires. Apprendre la langue française, goûter la littérature française, admirer les grands personnages du récit national nous fait entrer dans l’universel et nous permet de nous reconnaître comme Français sans nous méfier les uns des autres. C’est ainsi que la culture rejoint la liberté et la paix. A cette vision classique s’ajoute une conception ethnologique de la culture. S’intégrer à la France, c’est en adopter le mode de vie et les traditions. La République française porte bien son nom. Fille des Lumières, elle est la chose commune (res publica) aux hommes libres et égaux. Elle est française, car c’est par la culture française qu’elle dépasse nos différences. En aimant le même héritage, nous donnons corps à la nation comme un « un plébiscite de tous les jours »[1], selon la formule d’Ernest Renan.
Comme le rappelle Philippe d’Iribarne, le contrat social ne s’exprime donc pas qu’en termes politiques mais également en termes culturels. « L’allégeance à la société française (…) n’était pas seulement une allégeance à un corps politique, aux Lumières, à la Révolution française, mais à un corps social avec ses « rites » et ses « usages » (…) Demander aux nouveaux venus de s’y conformer pouvait donner le sentiment de favoriser l’accès à l’universel. »[2]. Il est donc logique que le code civil exige des étrangers candidats à la naturalisation qu’ils connaissent la langue française, notre histoire et notre culture. C’est ainsi que l’assimilation permet d’atteindre l’idéal démocratique. La culture commune donne aux citoyens le moyen d’exprimer la diversité de leurs opinions par une langue et des références en partage. Grâce à cela, les divergences ne sont plus d’ordre ethnique ou religieux. Elles deviennent idéologiques et politiques[3].
Ce modèle a permis d’intégrer les vagues d’immigration, du milieu du XIXème siècle jusqu’aux Trente glorieuses. S’il a gardé quelque force, il s’est fissuré à partir des années 1970-1980, alors que la France et l’Europe entraient dans l’ère du doute et de la culpabilisation.
L’assimilation au banc des accusés.
Depuis les années 1970, l’Europe et la France sont entrées dans une phase d’hypermnésie vis-à-vis des deux guerres mondiales et de la Shoah. Le héros a été remplacé par la victime, devenue la figure centrale de l’histoire. C’est en référence à la victime que le récit national a changé en France. Il a cessé d’être le chemin des Lumières vers la liberté et l’unité pour devenir le chemin de croix des communautés écrasées par l’Etat. Nous avons ainsi rangé au placard la maxime de Lavisse, qui demandait aux enfants « d’aimer la France parce que la Nature la faite belle et parce que l’histoire l’a faite grande ». Aujourd’hui, les programmes scolaires insistent sur le fait que notre passé est source d’interrogations. La religion des droits de l’homme, dont les victimes sont les nouveaux saints, a remplacé le discours républicain et patriote.
Dans ce contexte, l’assimilation apparaît comme un outil d’oppression des minorités. Elle doit être effacée pour protéger les immigrés de notre envie refoulée de domination. Michèle Tribalat le rappelle : « nous voyons dans « l’Autre », la figure de la victime car nous voulons garder bien vivante la mémoire des choses horribles dont nous avons été capables et qui, si nous n’y prenions pas garde, seraient toujours prêtes à s’emparer de nous. »[4]. Ce regard humanitaire et mémoriel nous conduit à associer l’assimilation à la colonisation et au racisme.
Il est vrai que la notion de « races supérieures » fut évoquée par Jules Ferry, père de l’école de la République, pour justifier la colonisation. Ce discours fut tenu alors que le modèle français d’assimilation prenait sa forme républicaine. Il ne s’agissait pas tant de racisme, que de l’idée que tous les peuples devaient suivre un même chemin sur la voie du progrès, pensée comme un axe de civilisation unique, sur lequel l’Europe serait plus avancée (et donc « supérieure ») que les autres. Cette vision ne peut pas être admise car elle nie la diversité des civilisations. Elle est néanmoins sans rapport avec le racisme qui classe les peuples dans une hiérarchie de races.
Cette approche victimaire a été entretenue par la déconstruction de nos repères culturels à partir des années 1960. La philosophie des Lumières aura été l’alliée du colonialisme, selon Sartre. La culture classique n’était qu’un levier de domination bourgeoise, selon Bourdieu, qui aura vu dans le professeur le coupable d’une « violence symbolique » contre les élèves. La maîtrise de la langue et de l’orthographe ? des valeurs « fascistes » selon Barthes.
Ce procès fait à l’assimilation repose sur une méprise. Il ne s’agit pas de renoncer à ses origines ou à sa culture personnelle. Assimiler la culture nationale n’empêche personne d’avoir sa liberté et ses préférences. Elle permet de rejoindre une communauté de destin. A l’inverse, renoncer à l’assimilation, c’est enfermer l’étranger dans ses origines. On l’exclut au nom de la « culpabilité de l’homme blanc », qui est une autre façon de revendiquer la supériorité de l’Occident sur le « bon sauvage », inapte à assimiler une autre culture que la sienne. Ce racisme à l’envers, dont Paul Yonnet a décrypté les mécanismes lors de la création de SOS-Racisme en 1983[5], conduit à sortir les immigrés de la République. Ils sont des « potes » à protéger et non des frères à aimer.
Le multiculturalisme fait le jeu de l’islamisme.
Notre culpabilité nous a conduit à envisager le multiculturalisme comme alternative au modèle assimilateur. Les pays anglo-saxons ont déployé des politiques d’identité (identity politics) qui ont encouragé la conscience communautaire chez les populations immigrées. La discrimination positive aux Etats-Unis, les critères ethniques dans les politiques sociales au Royaume-Uni ou les accommodements raisonnables à la laïcité au Canada en sont des exemples. En France, nous avons renoncé à appliquer notre modèle au nom du « vivre-ensemble », élément de langage qui consiste à faire coexister les communautés, sans que la culture française ne leur serve de ciment.
Comme le démontre la gravité de la rupture culturelle au Royaume-Uni, le communautarisme fait le jeu de l’islamisme. Les Frères musulmans estiment qu’ils n’ont pas à assimiler la culture des pays occidentaux mais que c’est aux pays occidentaux d’assimiler la leur. Comme l’avait déclaré Tariq Ramadan (alors la coqueluche des médias ; condamné depuis pour viol) : « La France est une culture maintenant musulmane. L’islam est une religion française. La langue française est une langue de l’islam. Vous avez la capacité culturelle de faire que la culture française soit considérée comme une culture musulmane parmi les cultures. »[6]. Ils revendiquent leur volonté de dénaturer la culture française. Cela se traduit par la hausse du port du voile, qui est adopté par 26 % des musulmanes en 2020 contre 18 % en 2008[7], et par la contestation des enseignements scolaires, en histoire, en littérature ou en sciences naturelles. Le récit de Madame Bovary est jugé contraire à l’islam, de même que les collections du Musée d’Orsay, présentant des nus, ou le tableau de David, La Liberté guidant le peuple, allégorie de notre République.
A travers le concept d’islamophobie – synonyme de discrimination de la « minorité islamique » en Occident – la cause des islamistes est appuyée par le wokisme, idéologie nord-américaine lointainement inspirée de la philosophie de Foucault et de Derrida. Au nom de la déconstruction, elle justifie la cancel culture. La culture française peut être annulée si elle met en avant des personnages coupables d’avoir dominé les minorités. Cet anachronisme moralisateur a conduit à la dégradation de la statue de Colbert, devant le palais Bourbon, ou au lancement des travaux par une municipalité socialiste pour retirer celle de Napoléon, dans la ville de Rouen.
Le wokisme ne se limite pas à mettre en accusation la culture des pays occidentaux. Il valorise et glorifie les appartenances communautaires et victimaires. Il a pris la forme d’un soft power qui alimente une nouvelle doxa sur les plateformes et les réseaux sociaux. Sur Netflix, les séries sont classées notamment par couleur de peau. Dans la catégorie Histoire et talents noirs, on sait que les acteurs seront noirs. Cette vision racialisée se diffuse en France où 12 millions de foyers sont abonnés à la plateforme. Sur les réseaux sociaux, l’appartenance communautaire et la posture victimaire ont une image cool et instagrammable. Cela profite aux islamistes. Quand le compte République_gouv n’a que 32 000 abonnés sur TikTok, les comptes de jeunes imams 2.0 ou de hijabistas donnant des tutos make-up sont suivis par des millions de jeunes. Ils les suivent parfois par conviction islamiste, mais surtout par sympathie victimaire et par adhésion au sacro-saint individualisme (« je fais ce que je veux ») qui fait du hijab un symbole de liberté...
L’extrême-gauche, dans le sillon de la France insoumise, a saisi ce mouvement, qui éloigne les jeunes générations du patriotisme et de la laïcité. Elle dénonce l’assimilation comme étant l’une des preuves d’un racisme d’Etat. Elle est aux côtés des islamistes par ses discours pro-Hamas. Elle donne ainsi des justifications à l’antisémitisme, devenu le premier des racismes en France.
La France, tu l’aimes… ou elle se délite ?
Pour retrouver la paix civile, il faut revenir au contrat social qui a fait la force de la République. En France, chacun a le droit de choisir son identité religieuse, culturelle ou sexuelle. Chacun a également le devoir d’assimiler la culture française, car seul le partage d’une culture commune peut entretenir la confiance et conforter la paix civile. Une culture en commun empêche en effet les identités de devenir meurtrières, selon Amin Maalouf. Elle met les identités à distance les unes des autres. Il s’agit d’assimiler « tout ce qui s’est bâti au cours des siècles, la mémoire, les symboles, les institutions, la langue, les œuvres d’art, choses auxquelles on peut légitimement s’attacher. »[8]. L’assimilation est le devoir de tous les Français, quelles que soient leurs origines. L’école doit se concentrer sur la transmission de l’héritage national, l’amour de notre langue et de notre culture. Il faut alléger le poids de la mémoire, qui pèse sur les consciences, et conduit nos jeunes à s’affilier à des communautés différentes, plutôt qu’à la communauté nationale.
Donnons-leur à aimer l’histoire de France, les symboles de la République et les grandes figures de notre littérature. Faisons leur comprendre qu’en suivant cette voie, ils réaliseront leur devoir. La France n’existe pas sans l’amour des Français. C’est l’enseignement de la pensée Renan.
Cela nécessite de faire place aux grands personnages de l’assimilation. Il faut montrer, de façon incarnée, comment la France dépasse les différences. Simone Veil, Léopold Sédar Senghor ou Mouloud Feraoun sont les symboles de cette unité culturelle : une femme d’Etat de confession juive, revenue d’Auschwitz, combattante de la liberté des femmes, élue à l’Académie française ; un poète franco-sénégalais, catholique, qui a bâti l’indépendance de son pays et a été, lui aussi, élu à l’Académie française ; un écrivain algérien, défenseur de la francophonie, ami d’Albert Camus et assassiné par l’OAS pour ses convictions indépendantistes. Voilà trois exemples d’une nation littéraire et politique restée fidèle, malgré les drames, à sa culture et à ses valeurs.
Il faut également faire comprendre aux jeunes ce que les sciences, les arts et les lettres doivent à notre nation. Ils comprendront que leur pays n’a pas le monopole de la vérité ou de la liberté mais qu’il y a contribué par le passé et peut, s’il en retrouve l’ambition, y contribuer à l’avenir. Ils comprendront que la France est leur chance de participer à la grande quête universelle pour le progrès. A l’instar des sportifs qui, le temps d’un été, ont porté les couleurs de notre nation, ils pourront alors espérer, à leur tour, être une part du destin de la France.
[1] Qu’est-ce qu’une nation ?, Ernest Renan, 1882
[2] Les Immigrés de la République, Philippe d’Iribarne, 2010
[3] La Communauté des citoyens, Dominique Schnapper, 1994
[4] Assimilation, la fin du modèle français, Michèle Tribalat, 2013
[5] Voyage au centre du malaise français : l’antiracisme et le roman national, L’Artilleur, 2022
[6] Discours de clôture aux rencontres de l’UOIF à Lille, cité in Un Racisme imaginaire, Pascal Bruckner, 2017
[7] INSEE, Immigrés et descendants d’immigrés en France, 2023
[8] Les Identités meurtrières, Amin Maalouf, 1998,
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