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Pour un fonds souverain "à la française"

Paul Bernard est étudiant en droit des affaires à l’Université de Paris II Panthéon-Assas et au King’s College de Londres. Il est également analyste au pôle « Puissance économique » du Projet Vauban, laboratoire d’idées pour la souveraineté de la France.


Coup de théâtre. Mardi 12 octobre, le Président Emmanuel Macron annonce en fanfare la création d'un important plan d'investissement chiffré au total à 30 milliards d'euros sur cinq ans. Après un soutien chaotique aux entreprises françaises, alternant entre le "quoi qu'il en coûte" et le "soutien ciblé et sur-mesure"[1], l'Elysée semble avoir pris conscience des défis stratégiques qui attendent notre pays.


Toutefois, dans la plus pure tradition jupitérienne, l'annonce du plan a eu lieu lors d'un long monologue (une heure et demie), devant un parterre de représentants de la société civile, sous les feux des médias. Dès lors, difficile de dire s'il s'agit d'une énième annonce de pré-campagne électorale ou d'une volonté industrielle ancrée. On eût aimé sentir le même enthousiasme patriotique lors de l'affaire Alstom, mais, curieusement, les temps étaient autres. Constance, quand tu nous tiens...


Que nous promet le Président ?


Le plan "France 2030" se concentre sur huit objectifs jugés prioritaires "pour faire émerger les futurs champions technologiques de demain". Concrètement, l'investissement vise à soutenir le développement de réacteurs plus efficients, à renforcer la recherche en matière d'hydrogène vert, à décarboner notre industrie (avions bas carbone, véhicules électriques et hybrides), à financer la recherche médicale et à financer l'exploration spatiale, entre autres propositions. Dont acte.


Derrière ces orientations stratégiques louables, deux oublis. Premièrement, il s'agit là d'une vague d'investissements sporadique, et non d'une stratégie visant à doter la France d'outils pour se financer ou se protéger sur le long terme. En somme, ce plan certes ambitieux ne dote pas la France d'un outil économique durable pour se protéger des appétits des puissances étrangères.


D'autre part, ce plan n'a pas tiré les conséquences de la crise. En effet, celle-ci a montré à quel point il était difficile pour les entreprises françaises, à tout stade de développement, de mobiliser des investissements. Sur ce point, la réforme des retraites (si tant est qu'elle voie le jour) doit permettre de renforcer les fonds propres des entreprises, en favorisant la mise en place de capitalisations collectives pour tous[2]. La création d'un fonds de pension pourrait être une solution intéressante à cet égard, comme l'ont fait nos voisins outre-Atlantique.


Un besoin de capital patient et ciblé


Pour remédier à ce problème, dans le cadre de la crise financière de 2008, Nicolas Sarkozy avait créé un Fonds Stratégique d'Investissement, afin de tirer l'économie française vers le haut dans certains secteurs stratégiques. Ce fonds, devenu la BPI, gère 30 milliards d'euros et dispose d'une activité de financement à hauteur de 35 milliards d'euros. Il constitue certes un soutien précieux à des ETI, PME et autres entreprises innovantes en France, mais il fait pâle figure à côté de ses homologues étrangers. Ces derniers, souvent issus des pays du Golfe ou d'Asie, atteignent en effet des tailles significatives, à l'image du fonds souverain norvégien (Norges Bank), qui totalise près de 1,3 billions de dollars d'actifs[3].


Certes, comparaison n'est pas raison. La France ne dispose pas, contrairement à ces pays, d'importants excédents commerciaux ni de ressources pétrolières. Cependant, d'autres ressources pourraient être mobilisées. Ainsi, l'épargne des français, qui s'élève à 5 000 milliards d'euros (1 700 milliards d'euros d'assurance-vie), traditionnellement investie dans des obligations du Trésor, pourrait être mise à contribution.


Rassembler l'épargne dormante de la Nation en un grand fonds souverain à la Française


De surcroît, des parlementaires tels Olivier Marleix[4] suggèrent de réunir dans une seule entité les leviers financiers dont dispose actuellement l'Etat sur l'économie (les 30 milliards détenus par BPI France Investissement, adossés aux 73 milliards d'euros de participations détenues par l'APE, la société d'investissement France Active, ou l'Agence Française de Développement). Pourra lui être adjoint le futur fonds French Tech, annoncé en juin 2020[5]. Dès lors, le fonds pourrait atteindre une taille conséquente (idéalement, plus de 100-200 milliards d'euros), de nature à peser face aux fonds étrangers. Sans parler des 1 700 milliards d'euros d'assurance-vie qui peuvent être mobilisés. Cela correspondrait à la taille du fonds de la Norvège (1 200 milliards d'euros).


La mission d'un tel fonds, dit souverain, pourrait être de soutenir certaines entreprises tricolores dans des secteurs identifiés comme étant stratégiques. D'un point de vue stratégique, cela permettrait à nos entreprises d'éviter de faire l'objet d'investissements à court terme de la part de fonds étrangers à visée uniquement spéculative (ou, plus grave encore, de faire l'objet d'opportunisme, comme en 2008 lorsque les fonds chinois avaient fait main basse sur certaines banques occidentales en difficultés), tout en revitalisant le tissu industriel français. Ce fonds permettrait également d'apporter une réponse aux besoins de capital "patient" dont manquent cruellement les entreprises françaises, toutes tailles confondues.


Concrètement, on estime le nombre de startups françaises à vocation industrielle à 1 500[6]. Pour ces pépites, l'objectif serait de les ancrer sur le territoire français, afin de ne pas les laisser partir, une fois leur "proof of concept" établi (soit en vendant leurs recherches au plus offrant soit en délocalisant leur production industrielle).


Un moyen de faire face aux défis écologiques, numériques et politiques


Les fonds souverains ne sont pas seulement utiles à préserver les fleurons de notre économie. Ils sont aussi vecteurs de changement social ou environnemental.


Le fonds souverain norvégien a ainsi marqué l'industrie quand, en 2019, il a fait le choix de se délester de 12 milliards d'euros d'investissements dans les énergies fossiles[7]. Il a même pris l'engagement, concomitamment, d'investir un montant similaire dans les énergies renouvelables dans un futur proche.


Le fonds souverain saoudien (le "Fonds Public d'Investissement") a, lui, fait le choix ambitieux de financer la transformation technologique du pays, faisant des ressources pétrolières nationales un atout au service de l'industrie nationale.


Face aux bienfaits certains dont la France bénéficierait par la création d'un fonds souverain reste une variable, celle de la volonté politique. Des parlementaires, voulant saisir l'opportunité du moment pour créer un géant de la finance français, ont même proposé des changements ambitieux, envisageant la création de fonds souverains régionaux[8]. Toutefois, cette volonté s'est brisée nette devant un manque de volonté politique, traduisant là encore un renoncement de nos élites devant un projet ambitieux. Les énièmes plans d'action du gouvernement (tels celui récemment annoncé pour les secteurs de l'événementiel, des agences de voyage et de la montagne), tous plus immobilistes les uns que les autres, ne changeront pas la donne.


Le peu d'ambition politique dont nous faisons preuve à l'heure actuelle ne doit pas non plus échouer au nom des compromissions auxquelles nous finissions par nous habituer. Il y a quelques mois, alors même que le gouvernement semblait aller dans le bon sens en créant un début de fonds souverain appelé "lac d'argent", nous apprenions que le quart du financement de sa première tranche serait assuré par le fonds souverain d'Abou Dhabi, Mubadala.


Plus encore qu'une volonté politique et une vision industrielle, si nous voulons créer un fonds souverain, il nous faudra remettre en cause certains dogmes auxquels nous tenons tant, qu'il s'agisse du contrôle des aides d'Etat (dans le cadre de la politique de concurrence européenne) ou des règles de l'OMC en matière de mesures protectionnistes indirectes.


Espérons qu'il ne faille pas d'un nouvel Alstom, Alcatel ou Technip pour faire prendre conscience à nos élites de l'urgence du déclin industriel français. Gageons que le panache français fera le reste.

[1] Selon le Tweet de Bruno Le Maire. [2] Etude Croissance+, Pour une réforme des retraites qui réponde aux enjeux français: Compétitivité, emploi, innovation avec la capitalisation pour tous, Institut Economique Molinari. [3] https://www.epargnant30.fr/fonds-souverains/. [4] O. Marleix, Les Liquidateurs, Robert Laffont, 2021. [5] Rapport IGF, Leviers de développement des start-ups industrielles en phase d'industrialisation, Septembre 2021. [6] Idem. [7] https://www.lafinancepourtous.com/decryptages/marches-financiers/acteurs-de-la-finance/fonds-souverain/. [8] http://www.senat.fr/espace_presse/actualites/202103/epargne_vers_les_fonds_souverains_regionaux.html.

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