La crise des gilets jaunes marque un retour de plus en plus violent de la question sociale. Les classes populaires reprennent l’espace public alors que la « métropolisation » – qui a abouti à concentrer les richesses dans les grands centres-villes – les a progressivement reléguées dans les zones périurbaines et que la question ethnique (poussée par l’extrême droite identitaire et l’extrême gauche racialiste) a monopolisé depuis trop longtemps l’attention médiatique.
Partie des automobilistes contre l’augmentation des taxes sur le carburant, portée par les travailleurs modestes, cette révolte n’a pas emmené avec elle les habitants des quartiers, mieux reliés aux centres villes par les transports en commun et se trouvant davantage en situation de chômage que de manque de pouvoir d’achat au travail. Cependant, au-delà des différences sociologiques et de la cristallisation du débat autour de la taxe carbone, les causes profondes de cette crise sont communes aux banlieues et aux campagnes. Ces territoires ont été ravagés par la désindustrialisation qui, fruit d’une ouverture impréparée à la concurrence internationale depuis les années 1970, en a détruit l’outil productif. Elle y a laissé une pauvreté endémique (25 % de taux de pauvreté dans les campagnes les plus isolées et 45 % dans les quartiers contre 14 % France entière), des centres-villes abandonnés de ceux qui avaient les moyens de partir et des services publics en berne.
Il est donc caricatural d’opposer les banlieues, jugées « protégées des élites » et « grandes gagnantes de la mondialisation », aux campagnes ignorées et méprisées par la France d’en haut. Dans les faits, elles sont dans un même état de relégation qui appelle des réponses plus sérieuses que la réorientation des crédits de la politique de la ville vers la ruralité (redistribution « entre les pauvres et les pauvres ») ou l’injonction de quitter un pays perdu pour s’installer dans la seule terre d’avenir : la métropole.
Pour le bien-être des habitants et la prospérité du pays, la solution est de recréer dans nos banlieues et nos campagnes un tissu de petites entreprises (PME) et d’entreprises de taille intermédiaire (ETI). Ce modèle du « Mittelstand » a su donner un avenir aux Lander en Allemagne et la France a tous les atouts pour y parvenir. Au-delà de cet effort, des investissements s’imposent pour changer le quotidien des habitants et assurer un accès plus équitable aux services publics.
Pour créer un « Mittelstand à la française » dans les territoires, un soutien à l’initiative économique passe par effort de simplification des normes et de baisse de la fiscalité sur la production
La force de l’entrepreneuriat dans les quartiers (taux de création de 17 % contre 12 % en moyenne nationale) et celle de l’artisanat dans les campagnes sont porteuses d’espoir, 85 % des emplois en Europe étant créés par des petites entreprises et non par des grands groupes. L’accès au financement est le premier défi. Il est donc impératif de regrouper les 6 000 aides existantes autour des dispositifs les plus connus et les plus simples. Pour ne pas brider les entreprises dans leur croissance, une plus grande territorialisation du droit du travail permettrait d’y aménager les effets de seuil ou de déroger aux accords de branche.
Alors qu’elles ont été frappées par les délocalisations, les banlieues et les zones périurbaines peuvent aussi retrouver un avenir industriel notamment grâce à un allégement de la fiscalité. La France taxe la production (avant le moindre euro de résultat net) à hauteur de 3,2 % de son PIB contre 1,5 % dans l’UE. Une trajectoire d’alignement sur la moyenne européenne pourrait attirer des investissements dans des territoires dotés de réels atouts (e.g. prix du foncier attractif, réseau routier de très grande qualité).
Investir pour embellir le cadre de vie et réduire l’isolement des habitants est désormais nécessaire
Le déploiement ou au moins le maintien de petites lignes ferroviaires est utile alors que seuls 10 % de la population dans les zones rurales les plus éloignées vivent à proximité d’une ligne de transport. Le numérique est un enjeu dans des villages où l’accès Internet voire téléphonique est très fragile. Pour embellir les centres-bourgs, une réflexion doit être menée sur une éligibilité plus étendue aux crédits de l’agence nationale de rénovation urbaine (ANRU).
Cet effort de rénovation doit être poursuivi dans les banlieues (95 % des habitants qui en ont bénéficié s’en disent satisfaits). Pour ce qui est des transports, les embouteillages et pannes à répétition des trains en Île-de-France empoisonnent le quotidien des habitants. Il n’est pas normal que cette région, qui représente 25 % du trafic ferroviaire national, ne reçoive que 10% des financements.
Une répartition plus équitable des services publics sur le territoire est due aux habitants
La priorité doit être donnée aux services publics de santé. Il est choquant que l’espérance de vie soit par exemple inférieure de trois ans à la moyenne nationale dans le Nord-Pas-de-Calais. Cela suppose que les crédits soient affectés selon les besoins de la population et non de la consommation constatée (découlant de l’offre existante). De façon générale, l’ouverture de maisons de service aux publics doit être poursuivie et aller de pair avec un « service public en ligne » assurant 100 % de réponse à des horaires adaptés aux usagers, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.
La reconstruction des territoires suppose une prise de recul dans le grand débat national qui s’ouvre pour voir qu’au-delà de leur détresse, ils ont des atouts à faire valoir. C’est aussi le respect qui doit être accordé tant aux habitants des villages qu’à ceux des quartiers pour apaiser les tensions sociales et permettre une sortie de crise. Plus durablement, ce travail est la condition pour une renaissance de ces lieux trop longtemps oubliés.
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